La traduction vue par Paul Ricœur

Sur la traduction, de Paul Ricœur
(Bayard, 2004)

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Cette réflexion sur la traduction se réclame de deux références :

  • L’Épreuve de l’étranger d’Antoine Berman[1]
  • Le travail de Freud sur le sens du mot travail

La première nous conduit à envisager l’exercice de traduction comme une mise à l’épreuve condamnant le traducteur à un éternel entre-deux et la deuxième permet d’utiliser les notions de travail de mémoire et travail de deuil.

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I. Défi et bonheur de la traduction

> Le travail de mémoire

La traduction est un travail de mémoire car le traducteur, en tant que médiateur, doit servir à la fois « l’étranger » (l’œuvre originale, l’auteur, la langue de départ) et le lecteur destinataire. Face à ce double enjeu, certains ont tendance à sacraliser leur langue maternelle et leur propre culture aux dépends de l’œuvre originale. Cette attitude est dangereuse car elle mène à l’ethnocentrisme linguistique et à l’hégémonie culturelle, c’est-à-dire qu’une langue (ou une culture) devient dominante par rapport aux autres, comme ce fut le cas de la langue française à l’âge classique ou de la langue anglaise de nos jours.

Mais ce refus ou cet échec de la médiation de l’étranger est parfois dû à la difficulté d’arracher le texte de départ à son environnement linguistique et culturel pour le transposer dans un autre. En effet, les multiples systèmes linguistiques traduction-litterairereposent sur des découpages phonétiques, conceptuels ou syntaxiques différents. D’une langue à l’autre, les champs sémantiques ne sont pas exactement superposables, les tournures de phrases ne véhiculent pas les mêmes héritages culturels ou les mêmes connotations et la manière de découper le réel et de le recomposer dans le discours varie. Pour toutes ces raisons, une bonne traduction reste un fantasme irréalisable.

> Le travail de deuil

D’où la nécessité de la part du traducteur de faire un travail de deuil et de renoncer à l’idéal de la traduction parfaite. Bien souvent, la traduction comprend trois étapes : l’angoisse de se mettre à la tâche, la lutte avec le texte et enfin l’insatisfaction devant le travail achevé. La tendance à la retraduction incessante des grandes œuvres témoigne effectivement de cette éternelle insatisfaction à l’égard des traductions existantes. Les traducteurs rêvent d’une rationalité qui serait libérée de toutes contraintes culturelles et toutes limitations communautaires.

Dans La Tâche du traducteur, Walter Benjamin parle de cette recherche du pur langage qui permettrait de traduire sans aucune perte. Seulement cela n’existe pas. Le seul moyen d’éprouver le bonheur de la traduction est alors de consentir à cette perte inévitable et de ne pas voutraducteur-interprêteloir combler l’écart entre équivalence et adéquation. Car une bonne traduction ne peut viser qu’à une équivalence présumée et non fondée. Cet exercice reste une entreprise d’approximation dans laquelle le traducteur, aussi fidèle soit-il, est inévitablement amené à trahir l’un ou l’autre de ses maîtres, l’auteur ou le lecteur. Il lui faut donc reconnaître et accepter la différence indépassable qui sépare le propre de l’étranger et, à cet égard, faire preuve d’hospitalité langagière en accueillant chez soi la parole de l’étranger. Ce n’est que par ce travail de deuil et cette hospitalité langagière que le traducteur connaîtra le bonheur de la traduction.

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II. Le paradigme de la traduction

> La traduction entre les langues

            Pour Antoine Berman, ce rapport du propre à l’étranger constitue l’essence de la traduction. On considère ici l’exercice au sens strict comme le transfert d’un message verbal d’une langue dans une autre. La traduction existe car les hommes parlent différentes langues. L’origine de cette diversité linguistique remonte au célèbre mythe de Babel, épisode marquant la disparition d’une présumée langue paradisiaque parlée par tous les hommes. Pour certains, il n’a engendré que dispersion et confusion. Mais loin d’être une catastrophe linguistique, la multiplicité des langues est l’origine de la traduction. Grâce à la capacité de tout être humain d’apprendre d’autres langues que la sienne, un après-Babel est possible.

Abel Grimmer - La tour de Babel

On peut bien sûr envisager deux cas de figure : ou bien l’hétérogénéité des langues est radicale, auquel cas la traduction est impossible, ou bien il existe un fonds commun à ces langues qui rend l’exercice de traduction possible. Puisque la traduction existe aujourd’hui, il faut bien qu’elle soit possible, mais il ne faut pas pour autant considérer la tâche du traducteur comme une contrainte imposée par Babel.

Il s’agit plutôt d’une chose à faire pour que l’action humaine puisse continuer. Au-delà de l’idée de contrainte et d’utilité, Berman insiste ainsi sur le « désir » de traduire du traducteur qui, par cet exercice, élargit l’horizon de sa propre langue. Car comme l’écrit Hölderlin : « ce qui est propre doit être aussi bien appris que ce qui est étranger ».
Malheureusement, même avec toutes les connaissances du monde, le désir du traducteur se heurte au dilemme inévitable de la fidélité et de la trahison, dilemme que Schleiermacher résume par le choix entre « amener le lecteur à l’auteur » et « amener l’auteur au lecteur ». Servir deux maîtres contraint le traducteur à trahir les deux, sauf s’il recourt à l’hospitalité langagière (dont nous avons déjà parlé).

> La traduction intralinguistique

langueUne autre approche de la traduction propose un sens plus large selon lequel traduire consiste à interpréter tout ensemble signifiant à l’intérieur de la même communauté linguistique. Il ne s’agit donc plus là de passer d’une langue à une autre mais de dire la même chose autrement au sein d’une même langue. Car, selon George Steiner, « comprendre, c’est traduire. »[2]

Ainsi, nous traduisons tous dès que nous interprétons des paroles. La traduction n’est plus la simple intériorisation du rapport à l’étranger, mais une exploration qui dévoile les procédés quotidiens d’une langue vivante. Cette exploration est justifiée par la propension de tout langage à l’énigme, au secret et à la non-communication. Même au cœur de notre propre langue, il existe une part d’indicible et d’intraduisible. Aussi intéressante soit cette deuxième conception de la traduction, on se réfère plus souvent à la première.

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Récapitulons…

La traduction est donc un travail de mémoire, puisque le traducteur sert à la fois le propre et l’étranger, et un travail de deuil dans la mesure où il doit renoncer à produire une traduction parfaite. Plutôt que de se cantonner à l’alternative théorique opposant traduisible et intraduisible, il est plus judicieux de s’orienter vers une alternative pratique : celle de la fidélité et de la trahison. Finalement, on peut considérer la traduction comme une trahison créatrice de l’œuvre originale, et c’est ce qui fait la grandeur et le risque de cette tâche.

Un complément pour vos oreilles:
« Qu’est-ce que traduire ? » sur France Culture 

9782227473676,0-183054

[1] A. Berman, l’Epreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, 1995.

[2] G. Steiner, Après Babel, Paris, Albin Michel, 1998.

La machine à raconter des histoires et à formater les esprits

9782707156518Innombrables sont les récits du monde […]. Sous ses formes presque infinies, le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés; le récit commence avec l’histoire même de l’humanité; il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit. […] Toutes les classes, tous les groupes humains ont leurs récits, et bien souvent ces récits sont goûtés en commun par des hommes de cultures différentes, voire opposées: le récit se moque de la bonne et la mauvaise littérature: international, transhistorique, transculturel, le récit est là comme la vie.

Roland Barthes, Introduction à l’analyse structurale du récit

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Bien que le mot storytelling ait l’apparence d’un concept très novateur, uniquement mis en pratique à l’avant-garde de la communication ou dans des groupes internationaux de grande taille, il s’agit, comme Christian Salmon nous le montre au fil de son livre, d’une technique employée depuis les années 80 par beaucoup d’organisations. Aujourd’hui, le storytelling devient une politique d’entreprise dont les applications sont multiples. À travers les expériences de personnalités renommées appartenant aussi bien au domaine professionnel qu’au monde académique, Salmon nous offre un parcours de l’évolution du storytelling depuis sa naissance jusqu’à l’actualité. Des journalistes, des entrepreneurs, des experts en communication et des linguistes contribuent à consolider les arguments et propos de l’auteur. Dans ce sens-là, le livre de Salmon fait preuve d’une vraie richesse, d’autant plus que tout cet ensemble de visions présentent une cohésion profonde.

L’ouvrage se compose de sept chapitres qui parcourent les différents domaines où le storytelling a fait son apparition en se consolidant en même temps comme instrument du pouvoir. Le point de départ est la considération de la place naturelle que le récit occupe dans la vie des hommes, puisqu’il fait partie de leur structure mentale, d’où le succès de la pratique du storytelling. De là, Salmon oppose le véritable récit (narrative) proche du mythe à l’anecdote ou rapport d’activité (story), banalisation résultant des usages instrumentaux du récit qui imposent des conduites et orientent le flux des émotions.

Dans le premier chapitre, « Des logos à la story », Salmon situe l’essor du storytelling au moment où la signification du produit (qui se concentrait sur l’image des marques pendant les années 1990) passe aux stories. Il s’opère ainsi un déplacement de l’image de marque à l’histoire de marque, puisque, comme l’explique Ashram Ramzy : « Les gens n’achètent pas des produits, mais les histoires que ces produits représentent. » (p. 32). Dans ce contexte, le storytelling permettrait aux marques et aux produits de submerger le consommateur, dont les comportements d’achats sont devenus beaucoup plus changeants et imprévisibles, dans un « univers narratif » qui l’inciterait à s’engager auprès de la marque. Le markéting narratif cherche à produire un effet de croyance, et assimile donc les marques à des récits de vie qui proposent des modèles de conduite intégrés incluant certains actes d’achat à travers de véritables engrenages narratifs.

Ensuite, Salmon aborde l’invention du storytelling management au milieu des années 1990 aux États-Unis. Cette technique se configure comme un changement radical de la gestion traditionnelle de l’entreprise qui passe par l’inclusion du storytelling dans la gestion interne pour mieux contrôler le flux d’information entre les employés. Selon Thierry Boudès, « les entreprises sont des microcosmes où sont produits et circulent des quantités de récits » (p. 56) que le storytelling management essaye de contrôler. Les stories fonctionnent dans ce contexte comme des vecteurs d’expériences et de connaissances qui permettent de partager une vision du monde, de mobiliser et motiver les employés, d’améliorer la communication interne et de dissoudre les éventuels tensions et blocages qui peuvent avoir lieu au sein d’un groupe. Les employés eux-mêmes sont aussi invités à partager leurs propres histoires, parce que ce processus de narration collective conduit progressivement à un diagnostic partagé de la situation. Il s’agit d’une alliance du management avec la littérature qui a donné lieu au concept d’« entreprise de fiction ».

Le domaine suivant abordé par Salmon est celui de la nouvelle « économie de fiction » lié à la délocalisation des entreprises. En prenant l’exemple des call centers indiens, l’auteur dénonce le processus d’acculturation subi par leurs employés, qui sont initiés au mode de vie et à la culture occidentale pour mieux répondre aux consommateurs des États-Unis qui appellent à des numéros verts. Il s’agit d’une « fictionnalisation » des relations de travail qui fait croire aux employés qu’ils accomplissent leur travail suite à une décision volontaire et autonome et qu’ils jouent un rôle dans un théâtre (ayant comme seul but le profit de l’entreprise). Le chapitre finit avec une référence au roman Joueurs de Don DeLillo (1977) qui prophétise la fin de l’ancien modèle d’entreprise postindustrielle « fordiste » et l’essor de l’entreprise de fiction avec sa gestion des émotions, capable de créer des fictions utiles et de s’adapter aux contraintes de la concurrence d’un marché devenu mondial. Ces considérations mènent Salmon à parler des « entreprises mutantes du nouvel âge du capitalisme », une nouvelle génération d’entreprises flexibles et décentralisées, telles que Google, Apple, Microsoft, Nokia, Starbucks ou Danone. Toutes créent des mythes collectifs constrictifs, des croyances qui suscitent artificiellement de l’adhésion jusqu’au point de contrôler le flux des émotions.

Dans le cinquième chapitre de son livre, Salmon s’intéresse aux applications du storytelling dans le domaine politique. Le point de départ est l’emploi que George W. Bush fait des techniques du storytelling lors de sa dernière campagne présidentielle en 2004, ayant pour objectif un impact émotionnel sur les potentiels électeurs. La campagne présidentielle serait donc devenue une bataille d’histoires plus qu’un débat des idées entre les candidats. Comme l’affirme Salmon, le storytelling est l’essence du pouvoir présidentiel aux États-Unis, et dans ce même sens, la Maison Blanche peut être considérée comme une scène, le plateau où l’on tourne le film de la présidence. Dans ce contexte, les spin doctors ont un rôle fondamental : des nouveaux experts en communication qui sont en réalité des gestionnaires de stories, contrôleurs de ce qui apparaît dans la presse (l’une de leurs tâches principales est l’élaboration de la story du jour, un sorte de scénario présidentiel, « vendu » à la presse et s’adressant directement à l’opinion publique), en somme, créateurs d’une contre-réalité qui détourne l’attention des gens des enjeux essentiels. Salmon montre ainsi que les spin doctors pratiquent le storytelling comme un art de la tromperie absolue et une nouvelle forme de désinformation.

La sphère suivante qui fait l’objet de l’analyse de Salmon est l’Armée. Le storytelling s’utilise aussi dans les simulateurs avec lesquels s’entraînent les soldats aux États-Unis. De la même façon que nous le voyions avec les entreprises, et en rapport avec le processus de décentralisation, les soldats doivent se confronter à un univers narratif où le réel et la fiction se mélangent étroitement. Le champ de bataille devient un théâtre qui a besoin d’une bonne story pour suspendre l’incrédulité, ce qui peut conduire les soldats à des extrêmes de déshumanisation et de perte de la compassion. Salmon dénonce le gouvernement des États-Unis pour utiliser un jeux-vidéo online pour recruter ses soldats et met en évidence la collaboration entre Hollywood et le Pentagone : l’industrie du cinéma sert au gouvernement avec ses histoires, parfois prémonitoires et parfois de propagande. Le storytelling de guerre est enfin défini par Salmon comme une « nouvelle politique transfictionnelle ».

Ensuite, Salmon aborde la question de la propagande, car, comme il l’explique, le triomphe actuel du storytelling et de la « mise en fiction » de la réalité dans tous les domaines (marketing, management, médias, communication politique) s’inscrit logiquement dans  une tradition de manipulation des esprits dont les fondements ont été établis au début du xxe siècle par les théoriciens américains du marketing et de la propagande. À partir de ce point, Salmon fait un parcours historique de ces deux disciplines au fil du dernier siècle, pendant lequel il lance des attaques contre l’industrie des médias et la Maison-Blanche qui emploie sur des fonds publics des journalistes chargés de produire et de diffuser des fausses nouvelles, comptes-rendus, reportages et enquêtes aux contenus manipulés.

Dans ses conclusions, Salmon explique que le storytelling est devenu bel et bien un phénomène international qui a commencé à gagner l’Europe depuis les années 2000. Il cite comme exemple les campagnes de marketing de Sarkozy ou de Ségolène Royal qui signent une profonde évolution (et même une vraie rupture) dans la culture politique française. Les stories innombrables produites par la machine de propagande des sociétés contemporaines sont des protocoles de domestication destinés à prendre le contrôle des pratiques, à formater les désirs et instrumentaliser les émotions. Cela aboutit à l’avènement d’un « nouvel ordre narratif »  qui prive aux hommes des moyens intellectuels et symboliques de penser leur vie. La lutte pour l’émancipation passe donc par la reconquête de nos moyens d’expression et de narration.

Dans l’âge de l’expansion technologique de la communication, les thèses de Salmon nous semblent du plus grand intérêt. Il est indéniable que les formes, les rites et les lieux du débat démocratique sont de plus en plus soumis aux nouvelles technologies du pouvoir et que, l’essor de ces fictions manipulatrices suppose une vraie menace pour la fragilité des identités individuelles et collectives. Le panorama du phénomène du storytelling évoqué par Salmon, en concertant un vaste ensemble d’opinions, des cas réels et des citations diverses, réussit à nous alerter des effets et conséquences de la « vente » d’histoires et d’émotions, la dernière révolution de la communication déchaînée au sein des sociétés capitalistes.

Christian Salmon. Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Éditions de La Découverte, 2008.

« Vous n’êtes pas un nom ! » : syndrôme du « ghost writer »

ghostLe « ghost writer » désigne un écrivain qui, malgré sa participation totale ou partielle à l’écriture d’une œuvre littéraire, garde l’anonymat, laissant la signature du texte à une autre personne, souvent plus célèbre.

La terminologie de cette expression est récente et il est, encore aujourd’hui, plus courant d’entendre parler de « nègre littéraire ». Ce terme fait alors référence à l’exploitation des populations noires au XVIIe siècle. La connotation raciste de ce mot est dérangeante et c’est pourquoi de nouvelles expressions euphémisantes telles que « prête-plume », « collaborateur », « documentaliste » voient le jour.

Il est intéressant de constater qu’il persiste un embarras certain devant cette profession. L’expression originelle fortement teintée de la notion de servilité et d’effacement identitaire a fait place à d’autres appellations plus douces. Toutefois, l’expression « d’écrivain fantôme » conserve son caractère peu flatteur et marque une disparition identitaire au profit d’une tierce personne : le signataire de l’œuvre.

Cette pratique de raugusteédaction s’ancre profondément dans l’histoire littéraire et ce jusque dans l’actualité la plus brûlante. De nombreux chercheurs s’y sont intéressés et la prêtent à des auteurs célèbres. Le cas le plus connu reste celui d’Auguste Maquet, le
« ghost writer » d’Alexandre Dumas père. Un vif débat oppose les spécialistes à ce sujet. En effet, Auguste Maquet a-t-il été le nègre ou le collaborateur d’Alexandre Dumas ? Pour certains, comme pour Joseph Marie Quérard, bibliographe contemporain des deux auteurs, Auguste Maquet serait l’auteur de plusieurs passages voire de certains ouvrages entiers signés sous la plume d’Alexandre Dumas. Pour d’autres, il n’aurait été « que le maçon » de Dumas, seul architecte de son œuvre.

Quoi qu’il en soit, à l’issue du procès attenté contre Dumas en 1848, Auguste Maquet finit par renoncer à l’ajout de son nom sur les œuvres en échange d’une certaine somme et rompt toute collaboration avec son collègue. Celui à qui on avait rétorqué « Vous n’êtes pas un nom ! » suite à sa proposition d’un drame en trois actes au théâtre Saint-Antoine, poursuit seul sa carrière d’écrivain. Toutefois, il sera jusqu’à la fin hanté par les souvenirs de cette période collaborative aux côtés de Dumas et écrira dans son testament :

« J’ai écrit avec Dumas père un nombre considérable d’ouvrages, dont quelques-uns : Les Mousquetaires, Le Chevalier d’IIarmental, Monte-Cristo, La Reine Margot, […] sont connus universellement. Cette collaboration féconde, consacrée par la notoriété publique, sanctionnée par la justice, Dumas l’a reconnue par écrit et par des actes publics, il l’a proclamée cent fois, alors qu’il en avait besoin et ne pouvait s’en passer. […] C’est à mes héritiers, qui bénéficieront du produit, c’est à ceux que j’ai aimés, à ceux qui portent mon nom, qu’il appartient, en toute occasion, de m’attribuer la part d’honneur qui m’en revient, c’est à eux d’apprendre au public la part immense que j’ai prise à la création de tant d’œuvres célèbres. »

C’est un personnage torturé, un écrivain damné que l’on retrouve dans le film de Safy Nebbou « L’Autre Dumas » sorti au cinéma en 2010.

Auguste Maquet est alors brillamment interprété par Benoit Poelvoorde aux côtés de Gérardfilm Depardieu dans le rôle d’Alexandre Dumas. La dualité antithétique des deux hommes est présentée dans le cadre d’une rivalité amoureuse où la nature de leur convoitise faite femme représente l’œuvre elle-même. Ce film interroge particulièrement bien cette situation de « ghost writer » en proposant une vision particulière de la relation d’Alexandre Dumas et d’Auguste Maquet tantôt ennemis tantôt jumeaux antithétiques. Ce jumelage va jusqu’à la perte de l’identité d’Auguste Maquet qui, malencontreusement pris pour son confrère, fait une dédicace au nom d’Alexandre Dumas : « À Charlotte qui me connaît si bien ». C’est de cette même ironie tragique que semble être teintée la vie d’Auguste Maquet à jamais associé au nom de Dumas.

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Marika Da Costa

Peut-on considérer la rédaction professionnelle comme de la littérature ?

« DUMAS avait toujours besoin d’argent. Il signait, dans différents journaux, des feuilletons confiés à des nègres et dont il ignorait jusqu’à la première ligne. Un soir, il apprend une nouvelle désastreuse : son nègre est mort subitement, juste avant l’heure à laquelle il avait l’habitude de remettre sa copie au journal. Dumas, épouvanté, ne sachant que faire, rentre chez lui et passe une nuit abominable. Au petit matin, le cœur battant, il va acheter le journal. Il l’ouvre et, à sa grande stupeur, découvre la suite du feuilleton, comme si de rien n’était. La clé de l’énigme lui fut fournie un peu plus tard : le nègre avait un nègre ; et le nègre du nègre, n’ayant pas été informé de la mort du nègre, avait, comme d’habitude, envoyé directement sa copie au journal. »

Cette anecdote racontée par Jean d’Ormesson a le mérite, si elle n’est pas vraie, de mettre en lumière le travail du « nègre ». Aujourd’hui appelés ghostwriters, ces personnages de l’ombre sont nombreux et font partie d’un corps de métier bien particulier : la rédaction professionnelle. Cette appellation peut sembler floue : si ces rédacteurs écrivent des feuilletons, comme celui de Dumas, pourquoi ne les nomme-t-on pas écrivains ? Quelle est la limite entre la littérature créative et la rédaction professionnelle ?

La rédaction professionnelle, comme son nom l’indique, est la production d’un écrit dans le cadre d’un travail rémunéré ; l’écriture n’y est pas une fin mais seulement un moyen pour atteindre un autre but : un salaire. Un rédacteur écrit pour un commanditaire ; à l’inverse, un écrivain, selon la tradition, écrit pour lui-même ou bien pour le sacre de l’art et de la beauté.
Selon Isabelle Clerc, professeure spécialisée dans la communication et l’écriture, « est dit rédacteur professionnel tout individu qui exerce une activité langagière à titre professionnel à partir d’un mandat et qui en tire ses moyens d’existence »i. Un rédacteur peut produire des écrits administratifs, techniques (manuels, procédures) mais aussi des écrits créatifs, à visée publicitaire par exemple. Le pigiste, quant à lui, exerce son métier dans différents domaines (écrire un discours, concevoir un cours à distance, un site web, un panneau d’exposition, etc.) selon les commandes qu’il reçoit : c’est un rédacteur professionnel généraliste.
Le métier de rédacteur est basé sur des contraintes qui sont imposées par un commanditaire. Celles-ci peuvent être linguistiques et contextuellesii (la structure thématique, la modalisation, etc.). C’est généralement grâce à l’argument de la contrainte que l’on différencie la rédaction professionnelle de la littérature : la seconde n’est soumise a aucune règle et n’est motivée que par l’inspiration de l’auteur.
Si l’on en croit le site 2mots.fr, qui produit des techniques d’écriture professionnelle enseignées en stages et fiches pédagogiques, les critères imposées aux articles journalistiques sont les suivants : « la lisibilité, la rigueur d’écriture (le mot juste, nettoyage du style, syntaxe logique, concordance des temps, précision allégorique…), la fiabilité du récit, et la hiérarchie de l’information (l’essentiel d’abord, l’accessoire s’il reste de la place. Car trop d’information tue l’information) »iii. À l’inverse, la littérature utilise des techniques narratives puisées « dans le profane ou le sacré : la beauté du style ; l’instrumentation du suspense ; l’imagination et la fantaisie des personnages et des situations ; l’utilisation de registres lexicaux cohérents, variés, contrastés ; le codage de l’expression selon le degré d’initiation, etc. »
Là où la fiabilité de l’information et la rigueur des mots priment pour l’écriture journalistique, la littérature, quant à elle, doit miser sur l’imagination et la variété du vocabulaire. Ces règles étant posés, si l’on parle de « contraintes » dans le domaine journalistique, et par extension dans la rédaction professionnelle, ne peut-on pas aussi concevoir ces fameux « critères » de la littérature générale comme un système de contraintes équivalent ? Peut-on considérer la littérature comme de la rédaction professionnelle ?

Prenons le mouvement oulipien : qui oserait prétendre que les textes produits par des auteurs comme Perec ou Queneau n’appartiennent pas à la « vraie » littérature ?

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L’OuLiPo, pourtant, se présente comme un atelier de littérature expérimentale qui exploite les contraintes formelles pour favoriser l’expression littéraire et décupler la créativité ; elles sont le fondement de leur création. Cela confirme l’hypothèse que, pour qu’il y ait écriture créative, il faut des contraintes ; il ne peut exister de littérature ex nihilo.
Ce parallélisme avec l’OuLiPo peut sembler tiré par les cheveux, mais on ne peut nier que ces deux types d’écrits – rédaction professionnelle et littérature – sont tous deux basés sur un système de contraintes variées. Elles différent selon le type de texte rédigé, mais aussi selon la volonté du commanditaire. Bien entendu, il n’y a que les rédacteurs qui sont en lien avec un commanditaire, mais si l’on continue de chercher des points communs, on pourrait évoquer le très grand nombre d’écrivains qui rédigent des romans sur la demande de leurs éditeurs – on estime le nombre de ce genre de commandes à 80% aujourd’huiiv.

Nous retrouvons donc, des deux côtés de la balance, une expression écrite basée sur la contrainte et, pour une grande partie, motivée par une commande. Certes, l’écrivain écrit, le rédacteur rédige ; l’écrivain est un artiste, le rédacteur un professionnel. Toutefois, cette approche n’est plus d’actualité : elle vient du xixe, siècle avec la figure de l’écrivain comme génie romantique doté d’une mission divine (figure expliquée par Paul Bénichou dans son fameux Sacre de l’écrivain) De nos jours, être écrivain est un métier, une activité qui se travaille, et qui ne tient plus du génie, d’où les très nombreux ateliers d’écriture littéraire ou créative qui existent en France. Aujourd’hui même, si l’on tape les mots-clefs « master écriture » sur Google, nombreux sont les résultats affichés : des formations orientées sur l’écriture professionnelle – la licence de Paris 3 « Conseil en écriture professionnelle et privée et écrivain public », les masters d’écriture à visée audiovisuelle à Paris Diderot, l’INSAS, Paris Ouest, Creadoc – ainsi que l’écriture créative – les masters de création littéraire de Paris 8 et de l’université du Havre.
Peut-on apprendre la littérature créative comme la rédaction professionnelle ? De toute évidence, c’est ce que semble prôner le système universitaire français. Après tout, ces deux façons de penser la littérature sont très proches et peuvent même parfois se confondre : ce sujet nous ramène à notre réflexion liminaire sur le ghostwriting : la rédaction professionnelle est-elle littérature ?

Ce domaine de la rédaction professionnelle fonctionne sur le principe de l’anonymat total du rédacteur : celui-ci rédige un texte dont la responsabilité morale est reprise par une autre personne. Le nom du ghostwriter n’apparaît jamais, il n’est pas auteur, d’où son nom de ghost.

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Cette pratique est courante : un ghostwriter peut être engagé pour faire le rewriting d’un livre, article, ou website, pour une utilisation privée ou publique. Ce type de rédacteur est généralement connu pour écrire des livres sous le nom de leurs « auteurs », mais ils y sont, en réalité, souvent présentés comme co-auteurs, ou bien évoqués dans les remerciements. Dans ce cas-là, le rédacteur écrit toujours sous l’ordre d’un commanditaire (l’auteur) et sous plusieurs contraintes – respecter un certain style et une histoire préétablie : l’auteur à le dernier mot quant aux modifications qu’il veut apporter. Cependant, dans ce contexte, le rédacteur produit un texte considéré comme de la littérature créative, qu’il s’agisse d’un roman ou d’une biographie. Pourrions-nous affirmer que Le Comte de Monte-Cristo n’est pas une œuvre littéraire ? Et pourtant, pour ce roman, Alexandre Dumas a travaillé en étroite collaboration avec son « nègre » Auguste Maquet, qui a produit de nombreuses pages à partir de ses recherches historiques, dont certaines n’ont pas du tout été retouchées par l’auteur. La figure et le statut de l’auteur et celle du ghostwriter ne sont pas les mêmes, pourtant, leur travail dans ce domaine semble identique.

La littérature est-elle rédaction professionnelle ? Force est de constater qu’aujourd’hui, elle tend à le devenir. Si l’on s’intéresse aux livres « commerciaux » (nous entendons là les best-sellers écrits à la chaîne sur des sujets « en vogue »), on voit, au fil des mois, des vagues de romans aux sujets particuliers, comme les vampires, par exemple. Il semblerait que la plupart de ces livres soient commandés par des éditeurs au fait des nouvelles tendances. Toutefois, on ne peut heureusement pas réduire la littérature à ce genre d’ouvrages ; il existe, bien entendu, toujours de superbes œuvres écrites sous l’impulsion propre d’un auteur passionné.
La rédaction professionnelle est-elle littérature ? Les manuels et autres notices sont, effectivement, très techniques et peu littéraires, et donc ne peuvent être considérés comme de l’expression créative ; mais, à l’inverse, les écrits issus de la rédaction généraliste, comme le ghostwriting et les articles journalistiques, peuvent aujourd’hui être appelés littérature. La limite entre ces deux « genres » est fine. Dans les deux cas, les auteurs possèdent un talent certain pour l’écriture ; souvent, d’ailleurs, les écrivains exercent aussi le métier de rédacteur, et vice-versa.
Ce débat soulève un autre problème : celui de la reconnaissance du lourd travail des rédacteurs professionnels, souvent oubliés dans le processus de publication et malheureusement faiblement rémunérés…

Pauline Coullet

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i Isabelle Clerc, « L’enseignement de la rédaction professionnelle en milieu universitaire »,Pour mieux comprendre la lecture et l’écriture (sous la direction de FORTIER, Gilles et Clémence PRÉFONTAINE), Montréal, Éditions Logiques, coll. « Théories et pratiques dans l’enseignement », 1998, p. 345-370, in Isabelle Clerc et Céline Beaudet, « Pour un enseignement de la rédaction professionnelle ou de la rédaction technique ? », Technostyle Vol. 17, No. 3 2002 Fall
http://www.vcharite.univ-mrs.fr/redactologie/IMG/pdf/Redaction_professionnelle_ou_technique.pdf

ii Pour approfondir ces contraintes, jetez un coup d’œil ici : Georgeta Cislaru, ANR Ecritures, SYLED-CLESTHIA, « Contraintes linguistiques et contextuelles dans la production écrite », Journée d’études du Programme de recherche, Les conditions de maîtrise de la production écrite, MSHS Poitiers, 9 mai 2012, Université Sorbonne nouvelle Paris 3 Contraintes linguistiques et contextuelles dans la production écrite
http://syled.univ-paris3.fr/projet_anr/ecritures/ECRIT-MSHS_Poitiers_mai_2012/Cislaru-communication-contraintes-ecriture-Poitiers_9mai2012.pdf »>http://syled.univ-paris3.fr/projet_anr/ecritures/ECRIT-MSHS_Poitiers_mai_2012/Cislaru-communication-contraintes-ecriture-Poitiers_9mai2012.pdf

iii Martin Bohn, Définition des techniques d’écriture professionnelle, 22 mars 2015
http://www.2mots.fr/

iv Cours d’édition en ligne, Université Paris 10
http://mediadix.u-paris10.fr/cours/Edition/104Editeur.htm

Le ghostwritting dans le rap

Le «.ghost writer » est littéralement « l’écrivain fantôme », celui qui écrit sans jamais être nommé et dont la paternité des écrits revient officiellement à d’autres. Les bénéficiaires des écrits du «.nègre » – patronyme français – sont généralement des personnalités célèbres qui vendent grâce à leur nom. Le choix même de ce terme français renvoie le rédacteur fantôme à cette réalité colonialiste et négative. Pourquoi donc s’encombrer à reconnaître les rédacteurs lorsque le public n’est friand que du résultat ?

Certains auteurs de l’ombre sont tout de même connus comme Auguste Maquet, ayant aidé Alexandre Dumas à écrire ses romans ou, dans un tout autre registre, Lionel Florence, parolier pour les grandes stars de la chanson française et dont la liste des collaborations est impressionnante. Les cas de ces deux disciplines sont cependant différents. En effet, les «.nègres.» littéraires sont désormais appelés « collaborateurs » et leurs noms sont mis en avant depuis plusieurs années dans le monde de l’édition, essentiellement depuis que l’on a découvert que Paul-Loup Sulitzer n’écrivait pas du tout ses livres lui-même.

Documentaire, Nègres, l’écriture en douce
https://vimeo.com/35404783

Capture d’écran 2015-06-02 à 21.46.14Dans le milieu musical en revanche, les paroliers ont toujours été mis en avant pour leur plume et avoir une chanson écrite par Jean-Jacques Goldman sur son album est un honneur et une forme de légitimité pour un interprète. Mais en est-il de même pour tous les styles musicaux ?

Un procédé tabou mais très utilisé dans le rap

Le «.ghost writting » est un procédé courant au sein du style musical qui génère le plus de ventes de disques en France : le rap. Deuxième pays après les États-Unis en matière de chiffres d’affaire dans ce qu’on nomme « la musique urbaine », la France a attrapé le virus du hip-hop rapidement après sa naissance. Booba, La Fouine, Orelsan ou encore Soprano, se retrouvent très souvent dans les premiers rangs du top 50, 100 ou 200.

Cela représente un véritable tabou qu’un rappeur n’écrive pas ses propres textes alors que l’essence même du rap est la revendication par l’écrit. Ces «.poètes du ghetto.» sont à la fois auteurs et interprètes et cette double compétence représentait une fait nouveau dans le milieu musical français. Écrire sur sa vie et ses expériences est une preuve d’authenticité et d’originalité et constitue ce que l’on appelle la «.street-credibilité.», cette consécration artistique accordée à un rappeur par son propre milieu.

528581delencreEn 2011, les rappeurs du groupe La Rumeur ont écrit et réalisé un téléfilm pour Canal+ autour de ce thème. De l’Encre raconte l’histoire de Nejma, une rappeuse de 24 ans, impatiente et désargentée, qui accepte, pour aider sa mère et son père à surmonter des problèmes financiers, d’être le « ghost writer » de Diomède, slameur propret et acceptable, propulsé sur le devant de la scène par un grand label. Lire leur interview dans Les Inrocks.

Le recours aux écrivains fantômes est de plus en plus répandu dans le rap. Il est présent sous deux formes : il y a d’abord les rappeurs qui écrivent pour d’autres rappeurs et il y a les rappeurs qui écrivent pour des interprètes de bords musicaux confondus. Dans les deux cas, le «.collaborateur.» n’est qu’à de très rares exceptions crédité pour son travail.

Fabriquer des produits marketing

Loin d’être la musique marginale qu’il était au départ, le rap s’est aujourd’hui démocratisé. Il est de plus de plus présent sur les chaînes de télévision, les radios et même les publicités (Lacoste, Citroën), que ce soit par ses paroles ou ses instrumentales. Les maisons de disques ont donc bien compris comment susciter l’intérêt des jeunes auditeurs et anticipent les tendances musicales en mettant sur le marché des artistes complètement façonnés par elles. En réalité, c’est ce système qui permet d’influencer les musiques à la mode qu’aiment les adolescents et non l’inverse.

À l’image des chanteuses choisies pour leur belle plastique afin d’appâter les jeunes hommes et de faire miroiter les jeunes filles, les rappeurs sont mis en avant pour créer des représentations spécifiques : le rappeur romantique à la gueule d’ange, le pseudo-gangster des quartiers ou celui qui fera bouger les têtes sur le tube de l’été. Malheureusement, ces produits marketing savent à peu près rapper mais ne savent pas écrire. Alors les maisons de disques font appel à une véritable plume qui fera le travail lyrical pour eux.

Les personnes de ce milieu savent très bien quel rappeur écrit ses textes et lequel ne le fait pas. Il y a également des gros doutes concernant les véritables auteurs de certains grands succès. Mais tout cela demeure un secret de Polichinelle ! Généralement, ces auteurs fantômes sont rémunérés au forfait et signent un contrat les délestant de leurs droits d’auteurs, ainsi qu’une clause de confidentialité. Cette discrétion est préférable pour les deux camps : le rappeur médiatisé conserve sa crédibilité aux yeux du grand public, et le rappeur fantôme n’entache pas la sienne en cachant le fait qu’il ait écrit pour un rappeur dit «.commercial.».

Rap et chanson française

Il arrive fréquemment que certains rappeurs aident des collègues à trouver la bonne rime ou à mieux structurer leur texte. Mais la pratique qui se développe le plus est le recours aux rappeurs par les artistes de la variété française. En effet, le rap est la musique où l’écrit est le plus important et certains rappeurs sont devenus des références en la matière. Des études littéraires et scientifiques, notamment de lexicométrie, montrent que le rap français est la musique qui utilise le plus de vocabulaire. Lorsque Diam’s écrit Viser la lune pour Amel Bent, c’est Oxmo Puccino qui signe les paroles d’Alizée et Maître Gims qui rédige les textes de Colonel Reyel ou de Vitaa. 

Ces artistes très connus du rap ont la chance de pouvoir apposer leur nom sur les textes qu’ils écrivent et percevoir ainsi des droits d’auteurs en fonction des ventes et des passages dans les médias. Cela est un véritable tournant dans le milieu musical qui s’explique par leur notoriété. Désormais, on retrouve Mc Solaar, Soprano ou Black M parmi les Enfoirés et sur les diverses compilations regroupant la crème de la chanson française.

La reconnaissance n’est pourtant de mise que pour une poignée d’entre eux. Enormément de rappeurs écrivent des textes pour des jeunes chanteurs français sans jamais que leur nom ne soit signalé. Pas qu’ils ne possèdent pas le talent requis mais plutôt parce que l’industrie musicale n’a pas encore reconnu leur valeur médiatique. Certains rappeurs vivent mieux de leur «.ghost writting » que des ventes de leurs propres disques.

La littérature a mis énormément de temps à reconnaître ces écrivains fantômes, il en faudra bien plus en ce qui concerne ces  « collaborateurs » musicaux, surtout s’ils viennent du milieu rap. L’entière responsabilité revient à ce double conservatisme : celui de l’industrie musical française, encore frileuse en ce qui concerne le rap pour causes de problèmes sociétaux bien plus profonds, même si elle n’hésite pas à se faire de l’argent sur cette musique. Et celui du milieu du rap français lui-même qui n’a pas encore su suivre les pas de son grand frère américain en désacralisant cette discipline et en dissociant le côté revendicatif du marketing.

Ouafa MAMECHE

Être rédacteur, par l’École de Paris du management (et par Oriane Gambatesa)

Être rédacteur, par l’École de Paris du management

Image prise à l'adresse suivante: http://www.canada2015.fr/devenir-redacteur/
Image prise à l’adresse suivante : http://www.canada2015.fr/devenir-redacteur/

Faire un compte-rendu est un exercice qui peut sembler simple à réaliser à première vue. Noter scrupuleusement les propos de chaque personne, relire le tout et hop, c’est fini. Oui mais… ce n’est pas si facile. En effet, être rédacteur ne signifie pas simplement faire du mot à mot. Le texte final est un produit purement réfléchi.

Découvrons ensemble les différentes facettes de ce métier, à partir de témoignages de rédacteurs de l’école de Paris !

Source : la vidéo se trouve ici.

La concision et la précision

Un compte-rendu se doit d’être réduit à son minimum : pour Michel Berry, animateur de l’école de Paris, un bon compte-rendu doit faire environ une dizaine de pages. Nous pouvons cependant émettre une remarque : la durée de la séance n’est pas précisée.

Bien sûr, ce qui se trouve sous nos yeux ne ressemble plus vraiment au brouillon de la première écoute : le compte-rendu définitif est écrit dans un style soigné, et peut être réorganisé. Pour Thierry Weil, animateur du séminaire ressources technologiques et innovation, ce qui est « crève-cœur » est le fait de devoir réduire des séances riches à seulement quelques pages.

Être rédacteur signifie donc être capable de condenser en quelques lignes des données pourtant importantes. Il ne faut retenir que l’essentiel.

Être anonyme, et pourtant, dire « je »

Thierry Weil insiste sur l’anonymat de cet exercice. De cette façon, les intervenants peuvent s’exprimer librement durant la réunion, jusqu’à tenir des propos qui pourraient être gênants dans la presse. Mais c’est sans compter sur la présence du rédacteur, qui censurera ensuite certaines paroles, en les reformulant par exemple. Ou pas, si le but du rédacteur est de provoquer des débats animés par la suite…

Lucien Claes, rédacteur à l’école de Paris, nous explique qu’il a été difficile pour lui d’écrire un compte-rendu en employant le « je ». Il nous parle d’un exemple concret, dans lequel il devait écrire : « Je suis ingénieur des Mines, j’ai fait ma carrière »… Naturellement, il aurait employé la troisième personne du singulier, mais toute la différence est là, et elle est très importante. Il faut dire « je », et se mettre ainsi à la place du locuteur. Il insiste également sur la tentative de restituer l’ambiance dans la salle et les émotions. Il émet également une remarque intéressante : quelques fois, on trouve dans les hésitations de l’orateur ce qu’il a vraiment voulu dire, ses hésitations ayant plus de sens que les paroles prononcées.

Le rédacteur doit donc être attentif à tout cela, et ne pas simplement se concentrer sur le discours en lui-même du ou des différents orateurs. L’ambiance générale et les émotions sont à prendre en compte.

Photo prise à l'adresse suivante : http://www.1001stages.com/theme-parler-en-public-248.html
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Un compte-rendu comme carte de visite

Henry Lagarde est le PDG de Royal Canin, et se prêter à l’exercice du compte-rendu lui a été très bénéfique. En effet, il explique que le compte-rendu lui sert très régulièrement, comme une carte de visite.

Après avoir été diffusé sur le web, Henry Lagarde a été surpris du nombre de personnes touchées par ce compte-rendu, et qui connaissaient ensuite l’histoire de Royal Canin.

La portée du compte-rendu peut donc être un moyen de valorisation de l’entreprise, en effectuant une promotion et une diffusion de l’entreprise.

La prise de distance

Michel Vuillette est professeur de sociologie à l’ENSIA (École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires). Pour lui, le compte-rendu doit se montrer proche du discours oral et du témoignage de la personne, avec un effort de concision et de clarification. Il nous explique également que parfois, il utilise ses compte-rendu pour ses propres recherches, « Je trouve que c’est une source d’information unique sur la pratique des affaires. Une source d’information sur ce que font les autres. Je l’utilise aussi comme enseignement, comme support dans les écoles d’ingénieurs. »

Élisabeth Bourguinat est rédactrice à l’école de Paris. Elle explique qu’un compte-rendu de l’école de Paris n’est certainement pas un procès verbal. C’est un jeu subtil où l’on doit à la fois être fidèle à ce qui s’est dit, et n’en retenir que le meilleur. Finalement, tout le talent de l’orateur est là : s’effacer par rapport à ce qui a été prononcé, tout en donnant une version très proche de la réalité. Tout comme Lucien Cales, elle insiste sur le fait qu’il faut donner de la vie, car ce n’est pas seulement un argumentaire. Les thèmes comme l’humour, la colère, le rire… et bien d’autres, doivent être pris en compte. Le but est donc d’essayer de rendre le compte-rendu vivant, et de le traiter comme une pièce de théâtre.

Pour conclure, être rédacteur n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît : il faut être concis et précis, en prenant, le temps d’un instant, la place de quelqu’un d’autre. Savoir dire « je » alors qu’il n’est pas question de soi peut s’avérer être un exercice difficile : il s’agit de prendre du recul, tout en restant proche des émotions ressenties.

repenser le livre…

Mes premières lectures consacrent un long interview à mon parcours et aux motivations qui m’ont conduit à lancer le projet éditorial “tous lire” en faveur des enfants qui ont du mal à lire ou qui n’aiment pas (trop) lire, et qui m’invite à repenser le livre.

J’y vois 3 points en rapport avec mon implication dans notre master.

Le code typographique. Je vous le présente du point de vue de son utilité, essentiellement la lisibilité (c’est-à-dire le confort de lecture, qui dépend autant de l’ouvrage que du lecteur). Et j’insiste sur son aspect « héritage », voire son dogmatisme (et le fait que, d’une maison à l’autre, les dogmes se contredisent sans jamais se glisser de leur piédestal). En préparant mes cours, je m’interroge (et recherche) aussi sur l’histoire, les motivations de tel ou tel principe. Avec « tous lire”, j’en ai remis pas mal en cause. Et, de là, d’autres aspects du livre… (À l’origine, la pagination n’existait pas, elle est apparue avec la notion dindex, et devient caduque en ePub.)

Le numérique. Je déplore que si peu d’entre vous possède une expérience assumée de lecture numérique. L’avantage que j’y vois (hors le caractère distinctif dans la course à l’emploi), c’est la distance que l’on prend par rapport à l’objet livre. Non dans le dessein de ne plus l’aimer, mais de considérer autrement sa fonction. Et si notre attachement à ce livre-objet se faisait au détriment de la lecture ? Et donc du texte ?
Un exemple ? Le livre audio est-il toujours un livre à vos yeux ? Combien en existe-t-il ? Les aveugles ont-ils accès à une aussi vaste bibliothèque que vous ? Avec les voix synthétiques, tous les ePub deviennent des livres audio. Avec la faculté des ePub à grossir les caractères, tous les livres deviennent accessibles aux mal-voyants (dont les presbytes, 30% de la population française, les myopes, 40%).

La maîtrise de la mise en page. Tous les textes adaptés pour “tous lire” sont travaillés dans InDesign, parce que la mise en page (et notamment la longueur de la ligne) devient cruciale pour ces enfants. Quarante signes espacés constituent une limite à ne pas (trop) franchir (question d’empan visuel, mais aussi de compréhension). Traditionnellement, il faudrait des aller-retour entre la maquette (InDesign) et le correcteur (Word), au grand détriment de la dynamique inspirante. Car la souplesse gagnée à traiter simultanément rédaction et présentation n’est pas qu’une économie de temps, c’est un jeu: un cadre aux règles contraignantes qu’il faut sans cesse contourner pour créer une histoire fluide, évidente et prenante.bandeau_tous_lire