Le métier de critique littéraire

 

 

Le métier de critique littéraire à l’heure de l’explosion du numérique
et des réseaux sociaux (blogs littéraires et critiques)

« À une époque, les grands critiques au Monde, étaient sur leur piédestal. Ils donnaient leur point de vue et c’était la parole sacrée. Ça, c’est complètement fini aujourd’hui. La critique est ouverte et désacralisée. Moi, je crois que c’est une bonne chose. » Michel Abescat

« En quoi un journaliste professionnel serait-il plus qualifié que moi pour parler de ses lectures ? » Isabelle Roussel (lectrice)

 

Auréolée d’un prestige certain, la critique littéraire a pour vocation de délivrer un avis sur une œuvre de l’esprit afin de faciliter son accès au grand public. Cet effort de discernement des œuvres a ainsi pour but d’éclairer le lectorat potentiel sur les thématiques sous-jacentes, les subtilités de l’ouvrage à ne pas manquer, mais aussi parfois les codes de l’écrivain ou les messages implicites disséminés dans le texte. Cet art a acquis ses lettres de noblesse depuis fort longtemps. On fait souvent de Sainte-Beuve « le premier des critiques », ce qui apparaît comme tout à fait injuste pour beaucoup. Certains diraient même qu’il a été le dernier à être « critique journalistique » et « critique universitaire ». Quoiqu’il en soit, c’est à la critique dite journalistique, celle que nous trouvons dans la presse, que nous nous intéresserons ici.

 

Pour cela nous allons nous pencher sur les grandes caractéristiques du métier, en nous appuyant sur le parcours et le témoignage de Michel Abescat, rédacteur en chef du magazine Télérama. Puis nous ferons une rapide excursion du côté des critiques amateurs pour entendre leur positionnement par rapport aux critiques professionnels.

 

  • Le regard d’un professionnel de l’écrit

 

La cible du critique littéraire

Le rôle du critique n’est pas de faire plaisir aux auteurs, son rôle est d’aiguiller un lectorat avide de se procurer de bonnes lectures. Pour cela, le rédacteur fait abstraction des auteurs, pour ne prendre en compte que les lecteurs potentiels qui lui font confiance. Il y a un contrat implicite entre le rédacteur de l’article et le lecteur, d’où une forte responsabilité du rédacteur. Pour être honnête avec le lectorat, il s’agit de délivrer une critique la plus personnelle et la plus étayée possible. On notera que le lectorat de Télérama, par exemple, est composé en majorité de femmes de plus de 50 ans. Cette estimation laisse penser que la critique traditionnelle de magazine littéraire attire davantage un public d’âge moyen qu’un public jeune.

 

La sélection des ouvrages

Le magazine reçoit un certain nombre de livres chaque année – des centaines chaque semaine – et doit faire une sélection. Les livres qui semblent les plus intéressants aux responsables sont mis de côté et répartis entre les différents lecteurs chargés de rédiger une critique. Le but n’étant pas de réaliser des critiques négatives, les livres semblant les moins intéressants sont écartés. Cela dit, il arrive qu’un livre soit justement lu pour être critiqué. Michel Abescat explique en effet que lorsqu’un succès littéraire leur semble immérité, cela peut leur donner l’envie de consacrer un article au livre afin de présenter leur point de vue divergeant. L’idée de débat et de confrontation des opinions est ainsi très importante dans ce métier basé sur la discussion et l’échange de points de vue.

 

La fonction du critique

Le critique est une sorte d’intermédiaire, car c’est souvent lui qui va présenter pour la première fois le livre au lectorat, son rôle est donc très important. C’est lui qui va donner ou non l’envie aux lecteurs d’acheter le livre et de le lire. Malgré tout, il n’est en aucun cas un juge absolu et impartial puisque la littérature ne saurait être une science exacte. Un avis, quel qu’il soit, n’est toujours qu’une opinion subjective qui peut cependant être étayée par une argumentation. Or, le rôle du critique est justement de présenter une critique qui soit la plus construite et développée possible : il ne s’agit pas seulement de donner un avis mais d’expliquer pourquoi l’on dit ça. Qu’est-ce qui nous fait aimer ou non cet ouvrage ? Quel est l’apport particulier de cet écrit ? Quels enjeux ? Quelle particularité a cette écriture ? Quel est le but de l’ouvrage ? L’auteur remplit-il l’objectif qu’il s’était donné ?

Le critique doit apporter une réflexion sur l’ouvrage qu’il présente. Il ne fait pas seulement un résumé (qui doit d’ailleurs être concis et ne pas révéler toutes les ficelles du livre), mais il y apporte son éclairage personnel, son sentiment quant à l’écriture, etc.

« La règle principale, c’est vraiment d’être soi-même, d’essayer réellement de voir ce que soi-même on a ressenti, ce que soi-même on a analysé, ce que soi-même on a pensé. Il ne faut pas essayer d’écrire ce qu’il faut écrire. Une bonne critique, c’est un regard singulier. De toutes façons, ce n’est pas des mathématiques, ce n’est pas de la physique, c’est de la littérature. Comme le cinéma et la musique, c’est extrêmement subjectif. »

Ainsi, lorsqu’un auteur, déjà critiqué et défendu par un magazine, sort un livre décevant par rapport aux précédents, le rédacteur a-t-il le devoir de le dire. Il s’agit d’honnêteté intellectuelle aussi bien que d’intégrité. Le critique n’est pas à la botte des auteurs, il passe avant tout un contrat de confiance avec les lecteurs envers qui il s’engage à donner son opinion véritable. Il ne s’agit pas de détruire un auteur ou de chercher à l’humilier mais d’interroger le livre et de réfléchir aux raisons qui lui ont fait trouver le livre moins bon. Le rédacteur cherche à comprendre ce qu’a voulu faire l’auteur, quelle était l’ambition du livre, et pourquoi il l’a éventuellement raté. La critique d’un texte peut ainsi permettre à un auteur de prendre conscience d’un défaut et de chercher à s’améliorer. La critique n’est pas et ne doit pas être gratuite et violente.

 

Durée de rédaction d’une critique

Interrogé sur le temps passé à réaliser une critique de livre, Michel Abescat répond que cela est terriblement variable. Il explique que lui-même a l’habitude de prendre beaucoup de notes pendant ses lectures : il écrit des sensations ou des idées qui lui viennent et s’en sert ensuite pour la rédaction de son article. Il y a des livres enthousiasmants, tout paraît évident et l’article peut être bouclé en 1 heure. D’autres, assez mauvais, dont la lecture n’est que partielle. Parfois l’écriture peut être très difficile, Michel Abescat explique que cela lui arrive de commencer à écrire, puis de laisser tomber, de reprendre le lendemain, etc.

« Il y a des livres où la critique est évidente et des livres qui résistent. Ou on écrit quelque chose et on se dit que ce n’est pas exactement ça. Ce n’est pas exactement ça que j’ai ressenti. Je suis un peu à côté. »

Tout dépend aussi de la longueur de l’article :

« Si c’est un petit papier d’une page, de 1 500 signes, c’est assez vite écrit. Par contre, si c’est une critique sur deux pages de 4 500 signes, c’est plus compliqué. »

Et puis il y a tous les autres livres, ceux qui sont entre les deux, comme il le dit :

« Le plus difficile, c’est la masse des livres qui sont bons, mais ni mauvais, ni très bons, car on n’a pas la place de parler de tout. On discute entre nous. Souvent, quand on n’a pas assez de place, il y a des bagarres entre nous pour parler de tel ou tel livre. »

Le travail de critique littéraire dans un magazine est ainsi également un travail d’équipe. Il s’agit de discuter les uns avec les autres afin de confronter des points de vue et de discerner quels sont les ouvrages qui apporteront le plus aux lecteurs, attitude qui demande une grande ouverture d’esprit et une capacité à prendre en compte l’opinion d’autrui.

« Des fois, il y a des discussions assez chaudes parce qu’on n’est pas toujours d’accord. Parfois, un critique veut défendre une livre et avoir une ouverture, mais il n’y en a qu’une par semaine. Ça se passe comme ça. C’est un travail d’équipe en fait. »

 

Organisation de l’équipe chez Télérama

Cinq personnes travaillent en permanence au magazine mais il y a un certain nombre de collaborateurs en plus (une dizaine à écrire régulièrement sur les livres). Dans les 2-3 mois qui précèdent la sortie du magazine, ils recensent tous les livres qui vont paraître, reçus sous forme d’épreuves non corrigées et ils se les répartissent. Si un auteur déjà critiqué fait paraître un nouveau livre, le livre est donné au critique de ses livres précédents.

 

Comment entre-t-on dans ce métier ?

Il y a beaucoup de façons différentes d’arriver au métier de critique littéraire, « mais il n’y a pas vraiment de formation pour ça, c’est surtout de l’expérience ». Ce peut être en commençant comme professeur, comme chercheur, comme éditeur, comme scénariste, comme journaliste, etc. Michel Abescat, lui, est passé par la télévision puisqu’il travaillait comme envoyé spécial pour France 2 et France 3. Il a aussi travaillé sur des documentaires d’archéologie pour Arte puis pour une émission littéraire, « Un siècle d’écrivains ». Ensuite, il a commencé à écrire pour une revue publiée par les Éditions Rivages, spécialisée en littérature policière. Progressivement il a commencé à écrire pour Le Nouvel Économiste puis au Monde, au Monde des livres et enfin à Télérama.

« Avant de recruter à plein temps, on va commander des critiques à la pige, au coup par coup. Il y a un journaliste critique à Télérama qui a été embauché car il a envoyé au responsable du service Télérama, pendant deux ans quasiment toutes les semaines une critique de film. Il ne s’est pas découragé et à un moment, à force de lire ses textes, qui étaient très bons, on a commencé à en publier. Maintenant, c’est le chef-adjoint au service Cinéma. »

 

Position par rapport aux blogs littéraires

À partir du moment où elle est justifiée toute critique peut être intéressante :

« Certains critiques trouvent que les blogs tirent un peu vers le bas, vers une critique qui est plus dans le « Je », « j’aime », « j’aime pas ». Il ne faut pas confondre une expérience de lecture et le souci d’une attitude critique d’avoir une certaine objectivité. Personnellement, je trouve que ça oblige à écrire autrement. Même pour les critiques installés, je crois que c’est une très bonne chose. »

Ce qui n’empêche par Abescat d’ajouter que pour tendre à l’objectivité, il convient au critique, amateur ou non, d’avoir lu les livres précédents d’un auteur, pour pouvoir mettre le dernier en perspective par rapport aux autres.

 

  • Regard d’un lecteur et critique amateur

De nombreux lecteurs, dont Isabelle Roussel par exemple, en ont assez de retrouver toujours les mêmes noms dans les magazines littéraires et surtout, de ne pas voir ceux des auteurs qu’ils apprécient. C’est une des raisons pour laquelle de très nombreux blogs amateurs de passionnés de la lecture se sont ouverts. Des fans y parlent avec naturel et franchise des livres qu’ils ont découverts et aimés.

« J’en ai marre que les livres que j’aime ne soient jamais traités dans la presse, alors je vais voir sur les blogs, où je reconnais le goût de gens qui aiment les mêmes choses que moi et écrivent sans arrière-pensées. » Isabelle Roussel

Un reproche fréquemment adressé aux critiques professionnels est, assez logiquement, leur manque d’honnêteté. Beaucoup de lecteurs leur reprochent ainsi de fausser leurs articles pour propulser leur carrière et se faire bien voir, pour coller à l’image du magazine ou pour des raisons économiques, sociales, etc. Anne-Sophie Demonchy, fondatrice de Lalettrine.com, explique

« J’ai fait un stage au Figaro littéraire à l’époque où il était dirigé par Jean-Marie Rouart, et ce que j’y ai vu m’a beaucoup désillusionnée. Des journalistes écrivaient sur des livres qu’ils n’avaient pas lus, on accordait une place disproportionnée aux romans des copains. J’étais sans doute naïve, mais j’ai eu envie de changer de voie après cette expérience. »

Grande lectrice, elle ouvre alors son propre blog. Une autre lectrice, Abeline Majorel, fonde un blog et regroupe 300 passionnés de la lecture pour essayer d’offrir un point de vue plus fiable sur les titres de la rentrée littéraire.

« On ne fait pas de la critique, on partage des expériences de lecteur et on essaie de maintenir quelque chose d’éthiquement correct avec un principe : pas d’interférences avec le marketing. Sur le blog, on raconte ce qu’on a vécu quand on a lu. »

Les notions d’entraide et de gratuité sont deux des arguments qui séduisent tout particulièrement une partie de plus en plus importante du lectorat actuel qui tend à se détacher des titres promus par les grands magazines littéraires. L’idée est aussi de mettre à l’honneur les auteurs systématiquement oubliés ou laissés dans l’ombre. Ce système de bouche à oreille par le net a alerté les rédacteurs professionnels. Nathalie Crom, chef du service livre de Télérama constate qu’il s’agit d’un « vrai phénomène » et Michel Abescat d’ajouter :

« Cela nous pousse à nous interroger sur notre légitimité. Et nous devons la justifier par ce qui reste notre travail : replacer une œuvre dans son contexte, la restituer dans la carrière de son auteur, ne pas se contenter du petit jeu du « j’aime » ou « j’aime pas », qui, parfois intelligemment argumenté, parfois moins, est le lot commun des critiques Internet. »

Avec un léger bémol cependant :

« Souvent, ils sont très en avance et parlent des livres bien plus tôt que nous. Mais leur dimension uniquement affective m’inquiète. C’est beaucoup plus facile, et il ne faudrait pas que la critique professionnelle se mette à copier la critique amateur. »

On constate bien que la concurrence devient rude pour les professionnels de l’écrit dans le domaine de la critique littéraire. Pour se démarquer de leurs concurrents amateurs, les critiques sont obligés de faire preuve de sérieux mais aussi d’originalité afin de retenir leur lectorat actuel mais également de s’ouvrir davantage afin d’attirer un lectorat qui ne leur fait plus confiance.

 

http://www.telerama.fr/personnalite/michel-abescat,349185.php

http://www.actusf.com/spip/La-chronique-litteraire-selon.html

 

Exemple de blog de critique littéraire :

http://litterature-a-blog.blogspot.fr/

 

 

 

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